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Réformer la formation initiale des infirmiers et réinventer les pratiques avancées

Le 27/4/2022

La commission d’enquête du Sénat, dans son rapport sur la situation de l’hôpital et le système de santé en France remis le 29 mars 2022, propose de rompre avec la morale du dévouement, voire du sacrifice sur laquelle repose le fonctionnement de l’hôpital. Jugeant la sélection par Parcoursup inadaptée, elle propose de réformer la formation initiale des infirmiers pour l’adapter aux exigences du métier et pour remédier aux lacunes constatées chez certains diplômés.

À l’issue de près de quatre mois de travaux, la commission d’enquête appelle à redonner du souffle à l’hôpital en lui laissant davantage de liberté et d’autonomie dans son organisation, en lui attribuant des moyens proportionnés aux défis de santé actuels et en redessinant son articulation avec la médecine de ville. Le constat sur lequel s’appuie la commission portant sur le mode de financement de l’hôpital, la gouvernance, la réorganisation en pôles, les conditions de travail dégradées, la perte de sens, la formation initiale et continue des infirmiers, l’articulation avec les soins de ville, véhicule en toile de fond le sentiment diffus « que s’était mieux avant ». Avant la loi HPST de juillet 2009, avant la création des ARS et toutes les réformes apportées au système de santé par les gouvernements successifs durant la décennie passée. Une tonalité qui n’est pas sans rappeler celle du titre du livre publié en janvier 2020 par Jean-Carles Grelier, député de la Sarthe et membre de la commission des affaires sociales« Nous nous sommes tant trompés » . Le Sénat a-t-il pour autant vraiment tiré leçon des erreurs du passé ? A vous d’en juger.

Dégradation des conditions de travail et sentiment de perte de sens

« Perte de sens », « injonctions contradictoires », « crise de valeurs » seraient les dénominateurs communs aux décisions de nombreux infirmiers de mettre fin à leur carrière hospitalière. Lors des entretiens de départ, nombre d’entre eux évoquent le fait de n’être plus en phase avec leurs valeurs, décrivant des situations de travail et d’exercice professionnel où le temps manque et où la satisfaction du soin prodigué aux patients est parfois aléatoire.

L’Ordre national des infirmiers a communiqué à la commission d’enquête les résultats d’une consultation menée en décembre dernier indiquant que 85 % des infirmiers salariés (89 % dans le secteur public) estimaient que leurs conditions de travail s’étaient détériorées depuis le début de la crise sanitaire, cette proportion ayant augmenté de 21 points par rapport à la consultation opérée un an auparavant, en octobre 2020. Les infirmiers exerçant en établissement sont 71 % (74 % dans le secteur public) à déclarer qu’ils ne disposent pas du temps nécessaire pour prendre en charge leurs patients (+ 7 points par rapport à octobre 2020). 42 % des infirmiers indiquaient ressentir un syndrome d’épuisement professionnel de type burn-out.

Reconnaissant l’ampleur sans précédent des revalorisations salariales consécutives au Ségur de la santé, la commission les considère cependant trop tardives au regard de l’ancienneté de la crise de l’hôpital. Saluant ce rattrapage par rapport aux pays comparables à la France, notamment pour les infirmiers dont la rémunération se situe en « queue de peloton », elle estime cependant que la désaffection préoccupante à l’égard de l’hôpital est plus liée à un sentiment de perte de sens qu’aux rémunérations insuffisantes ou aux écarts de salaire entre secteurs public et privé.

Sur la base de ce constat, le rapport du Sénat entend remettre le soin au cœur des métiers hospitaliers qui s’en sont trop éloignés faute de disponibilité suffisante pour s’y consacrer, « l’attractivité et la fidélisation des personnels médicaux et soignants conditionnent le renforcement de leur présence auprès des patients. Il s’agit de mieux utiliser cette ressource médicale et soignante en recentrant sur le soin une activité aujourd’hui de plus en plus captée par d’autres tâches… ce nécessaire redéploiement des tâches doit aussi s’accompagner d’un renforcement du nombre d’infirmiers ».

Garantir un pilotage « médico-administratif » équilibré

L’évolution de la gouvernance, avec un pouvoir de décision concentré entre les mains du directeur d’établissement, lui-même fortement subordonné aux autorités de tutelle, est présentée dans le rapport comme « le facteur majeur d’un effacement des objectifs de soins dans les décisions prises à l’hôpital ».

Le Sénat propose de « revivifier » le rôle des représentants des praticiens et personnels paramédicaux dans les instances de gouvernance, en renforçant l’interaction entre celles-ci et les services de soins et en donnant un rôle accru à la commission des soins infirmiers « Le rôle de la commission des soins infirmiers doit être réétudié et valorisé, au même titre que l’a été celui de la CME, afin de permettre aux personnels paramédicaux de se sentir beaucoup plus associés à la gouvernance. Cette instance constitue en outre un lieu privilégié d’échange sur les initiatives soignantes et les pratiques innovantes ».

La réhabilitation du service, comme base de l’organisation hospitalière, qu’il soit ou non inclus dans un pôle, apparaît potentiellement comme un important facteur de mobilisation collective.

Parallèlement le rapport souhaite renforcer le rôle majeur du cadre de santé aux côtés du chef de service, alors qu’il est aujourd’hui entravé par des tâches de gestion des plannings et des absences ou de recherche de lits d’aval, ce qui réduit leur temps de présence auprès des équipes et des malades. Les cadres de santé se sentent trop souvent privés d’autonomie et assignés à un rôle de « courroie de transmission d’instructions venues de la direction sans voir en retour de réelle prise en compte de leurs propositions en matière d’organisation du travail ».

Une interaction plus étroite semble nécessaire entre le chef de service et le cadre de santé, la commission considérant que « la synchronisation du temps médical et du temps soignant comme un facteur d’amélioration de la prise en charge des patients et de la fluidité du travail des équipes soignantes ».

Une évaluation doit rapidement être menée sur la formation initiale des infirmiers

Jugeant la sélection par Parcoursup inadaptée et à l’origine de trop d’abandons en cours d’études, le rapport du Sénat propose de revoir les maquettes de la formation conduisant au diplôme d’Etat d’infirmier pour les adapter aux exigences du métier et pour « remédier aux lacunes constatées chez certains diplômés ».

Au cours de ses travaux, la commission d’enquête a été alertée sur l’évolution particulièrement préoccupante des conditions de formation des infirmiers, tant en ce qui concerne la pertinence de la sélection que l’adéquation aux exigences attendues pour l’exercice du métier.

Le professeur Rémi Salomon, président de la CME de l’AP-HP a ainsi indiqué que « les jeunes infirmiers qui sont diplômés aujourd’hui sont moins bien formés qu’auparavant. Il faut se saisir à bras-le-corps du sujet, car tout se cumule : les jeunes, qui sont moins bien formés, se sentent moins prêts, la sélection, où il n’y a plus d’entretien, n’est pas adaptée, les stages en pédiatrie ont été supprimés et les stages pratiques sont problématiques ». Le président de la conférence des directeurs d’établissements privés non lucratifs, Jacques Léglise, indiquait quant à lui « Les infirmiers et infirmières ne sont pas suffisamment formés en sortant des écoles. Visiblement, la formation de base est devenue beaucoup moins technique. Les jeunes infirmiers et infirmières ont peur désormais des soins très techniques. Le système est par conséquent à réinventer ».

Plusieurs autres témoignages recueillis par la commission d’enquête vont dans le même sens. Ils révèlent également des difficultés plus inquiétantes parfois liées au manque d’acquisition de compétences de base à la sortie d’école, par exemple pour des calculs de dosage nécessaires aux injections. Depuis 2019, l’accès aux IFSI s’effectue après le baccalauréat par une sélection de dossier passant par Parcoursup. En dépit d’une demande particulièrement forte – 687 000 en 2021 – témoignant de l’attrait de la profession dans les représentations des futurs étudiants, le taux d’abandon en cours d’études paraît particulièrement important. Cette situation pourrait révéler l’inadaptation de la sélection par l’algorithme Parcoursup, puisqu’à partir d’une demande surabondante elle dirige vers les IFSI trop de profils paraissant insuffisamment motivés ou préparés à la réalité de la formation.

En conclusion et toujours sur le mode « c’était mieux avant », le rapport précise « l’entrée sur concours accompagnée d’un entretien de motivation au moment des épreuves d’admission, en vigueur jusqu’en 2018, paraissait donner de meilleurs résultats ».

Reconnaissant qu’il fut difficile, dans le cadre de cette commission d’enquête, d’effectuer une analyse détaillée des enjeux liés à la formation des infirmiers, le rapport préconise au final de procéder rapidement à une évaluation des conditions de formation des infirmiers, notamment des modalités de sélection des étudiants en début d’études et de l’adéquation des maquettes de formation aux exigences des métiers.

Renforcer l’offre de soins primaires et libérer du temps médical en ville.

Au cours de ces dernières années, l’accès aux soins primaires s’est dégradé, avec deux types de conséquences : le retardement des soins, qui va parfois jusqu’au renoncement, ce qui augmente les risques d’aggravation de l’état de santé, et la sollicitation par défaut de l’hôpital et des services d’urgence pour des soins relevant de la médecine de ville.

Malgré le relèvement puis la suppression du numerus clausus, la démographie médicale va continuer durant plusieurs années encore à peser défavorablement sur l’accès aux soins primaires. Face à cette évolution structurelle la commission considère comme nécessaire de « diversifier les efforts pour renforcer l’offre de soins primaires et libérer du temps médical en ville ».

Jusque-là rien à dire sinon que les infirmiers libéraux généralistes auraient pu espérer à juste titre figurer dans ce rapport parmi les acteurs à mobiliser prioritairement pour renforcer l’aval et l’amont de l’hôpital. De par leurs compétences, leur nombre et leur répartition sur le territoire, ils font naturellement partie de la solution que malheureusement ni les gouvernements successifs, ni les parlementaires et encore moins les syndicats médicaux ne veulent voir. Ce ne sont pourtant pas les propositions de leurs syndicats professionnels qui ont font défaut, que ce soit au cours de l’examen du PLFSS 2022 ou lors de la campagne pour les présidentielles qui vient de s’achever. Il suffit pour s’en convaincre de garder en mémoire les propositions adressées par le SAIIL aux candidats en campagne , propositions qui auraient pu considérablement diversifier les préconisations de ce rapport en matière de prévention, de sécurisation du circuit du médicament, de prise en charge du grand âge et de la chronicité, de réduction des recours non justifiés aux urgences hospitalières.

A défaut d’avoir associé le corps infirmier à ses travaux, la commission rend un rapport très médico-centré avec pour seule ambition, pour réduire la détérioration d’accès aux soins primaires, l’allégement du contenu et des conditions requises pour accéder aux formations préparant au certificat de qualification professionnelle d’assistant médical.

Parallèlement et pour faire bonne mesure, le Sénat suggère de repenser les modalités d’exercice infirmier en pratique avancée en soins de ville, en réévaluant le mode de rémunération des IPA libérales, les conditions de coordination avec le médecin, d’accès et de prescription. Il est vrai que nous sommes loin d’atteindre l’objectif fixé de 5 000 IPA formées en 2024 et que de surcroît, selon l’IGAS, on s’est écarté du projet initial visant à étendre le périmètre d’intervention des infirmiers en soins primaires.

Au final et encore une fois par défaut d’écoute des corps intermédiaires que constituent les syndicats des infirmiers libéraux, on nous ressasse les pratiques infirmières avancées comme étant l’alpha et l’oméga de la solution palliative aux déserts médicaux, alors même que l’IGAS dans un récent rapport qualifiait les infirmiers de pratiques avancées « d’impensés statutaires et économiques ».

Aurélien Larisot

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