Les députés et sénateurs réunis en commission paritaire mixte (CMP) mercredi 15 mars pour plancher sur la réforme des retraites avaient réussi à s’accorder sur une version finale du texte. Le projet de loi issu de ce conclave aurait dû être soumis aux votes de l’Assemblée nationale jeudi dans l’après-midi mais l’exécutif a décidé d’un Conseil des ministres extraordinaire permettant à Élisabeth Borne de déclencher l’article 49-3. Un scénario qui n’est pas sans risque pour la Première ministre, d’autant que cette méthode jugée brutale a immédiatement remobilisé la contestation dans la rue. Une issue qui a relancé la guerre politico-médiatique et qui à 9 voix près a failli faire chuter le gouvernement ce lundi 20 mars.
Mis à part un amendement ayant reçu un double avis favorable de la commission et du gouvernement visant à étendre aux professionnels libéraux dont les infirmiers, la majoration de 10% de la pension de retraite des assurés ayant au moins trois enfants, le projet de réforme ainsi adopté plonge notre profession dans d’insupportables incertitudes. Incertitudes liées à l’impact de cette réforme sur leurs cotisations, incertitudes de voir enfin se réduire l’iniquité des régimes au sein même des professions libérales de santé.
Tellement embourbés, sur le plan conventionnel, dans le marasme lié à la clause de revoyure qu’ils ont acceptée de façon inédite pour la mise en œuvre du BSI, les syndicats représentatifs des infirmiers ne semblent pas avoir pris la mesure des phénomènes de radicalisation qui frappent les communautés infirmières. Leur réveil tardif sur l’épineux sujet des retraites ne fait que renforcer le doute planant sur leurs réelles capacités à écouter les attentes de ceux qu’ils représentent et à cibler les plus légitimes pour agir en conséquence.
Incertitudes liées à l’impact de cette réforme sur les cotisations
La refonte de l’assiette de cotisations sociales des indépendants, dont les infirmiers libéraux, ne figure pas dans le texte, sur la réforme des retraites. Mais le projet est bel est bien dans les tuyaux comme l’a précisé Olivier DUSSOPT, Ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion, lors de son audition devant la commission des affaires sociales du Sénat : « Nous engagerons la réforme de l’assiette sociale, pour la concrétiser dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2024 (…) elle exige un travail technique que nous ne pouvions pas mener dans les délais qui nous étaient imposés ».
On peut donc en déduire que le gouvernement n’a pas renoncé à son projet initial d’universalisation des cotisations de toutes les professions libérales et voir l’ombre du loup toujours cachée derrière la volonté réaffirmée par le ministre « d’établir une certaine équité au sein des professions libérales ».
Rappelons en effet que jusqu’à présent chaque profession était soumise à un taux de cotisation spécifique. Celui des infirmiers libéraux est fixé à 14% et selon certaines sources comptables le projet initial d’universalisation des cotisations aurait pour effet d’imposer à toutes les professions libérales un taux de cotisation de 28.12%.
Si le gouvernement actuel est toujours en place à l’automne, c’est donc bien un doublement du taux de cotisation retraite qui attend les infirmiers à l’orée du bois, ou plutôt du PLFSS 2024.
Les syndicats représentatifs, aussi discrets qu’ils puissent se montrer, en sont parfaitement conscients. La FFMKR, majoritaire pour les kinésithérapeutes précise d’ailleurs, dans un récent communiqué « Sur ce sujet, la FFMKR appelle à un alignement des prélèvements sociaux et un abattement de CSG de 30 % afin de rétablir l’équité avec les salariés. Dans le même temps, les représentants de la profession s’engagent à œuvrer pour réinjecter les gains liés à l’abattement au profit des cotisations retraites pour améliorer les pensions des professionnels ».
Mais ne soyons pas dupes, cette compensation de la hausse des cotisations retraite par une diminution de la CSG était déjà envisagée par le gouvernement dans son projet initial, mais avec une dégression en fonction des revenus. Or, la majorité des infirmiers ayant des revenus avoisinant 40 000€, peu d’entre eux auraient bénéficié de ces taux de cotisation réduits, en regard des tranches de revenus prévues dans ce projet.
Quant à la réinjection des gains liés à cet abattement pour améliorer les pensions des auxiliaires médicaux retraités, il faudra encore nous garantir qu’elle s’opérera réellement, alors que depuis des lustres, la CARPIMKO et les syndicats qui la pilotent semblent s’enorgueillir de sa bonne gestion et des réserves constituées. Se satisfaire de la situation financière de la caisse, si bonne soit elle, c’est faire peu de cas du fait qu’elle repose essentiellement sur l’indigence des prestations servies par le régime de base. Cette situation est encore aggravée par le fait qu’en réalité un nombre important d’infirmiers épuisés partent à la retraite avant 67 ans et subissent de ce fait des décotes sur tous les régimes.
Incertitudes de voir enfin se réduire l’iniquité des régimes
Il en va tout autrement pour les 84 000 médecins libéraux retraités. Tout bien réfléchi, leur caisse autonome de retraite (CARMF)) annonçait en effet fin janvier 2023 qu'elle avait finalement décidé d'augmenter immédiatement de 4,7 % la retraite complémentaire (45 % de la pension moyenne) après avoir annoncé qu’elle renonçait à cette augmentation prévue au 1er janvier.
Selon le patron de la CARMF interrogé par Le Quotidien du Médecin « La situation financière de la caisse à long terme serait également meilleure que prévue, autorisant ce coup de pouce. Le suivi opérationnel continu des actifs de la CARMF permet de constater une situation favorable à long terme, compte tenu de la hausse des rendements obligataires, avec un taux de rendement annuel de 3 % au lieu de 1,9 % prévu initialement ».
Selon la caisse des médecins, cette revalorisation des pensions de 4.7% avec effet rétroactif au 1er janvier 2023, après une hausse de 0.5% au 1er janvier 2022 permettra de rattraper exactement l’inflation constatée l’an dernier. Elle appelle en outre l’État et les syndicats médicaux à revaloriser de manière équivalente la valeur du point de retraite ASV (34 % de la retraite moyenne des médecins), tout en mettant en garde contre toute augmentation de cotisation qui alourdirait la charge des cotisants.
Avec ce régime très spécial des Allocations Supplémentaires de Vieillesse (ASV), on touche du doigt une iniquité de traitement majeure entre professions libérales de santé. Pour mémoire, ce régime de retraite financé aux deux tiers par l’assurance maladie tient à la politique de conventionnement des professions de santé libérales dans les années 1960. L’ASV a été conçu à cette époque comme une prime au conventionnement. Les règles de l’ASV sont définies à la fois par la loi et par les conventions passées entre l’assurance maladie et les syndicats professionnels
Alors que la réforme des retraites en cours était censée améliorer l’équité des régimes, les prestations servies au titre de l’ASV demeurent particulièrement inéquitables, et l’évolution vers plus de justice sociale n’est toujours pas à l’ordre du jour. En effet, en 2023, la valeur du point de retraite ASV est de 26,80 € pour les Chirurgiens-dentistes et sages-femmes, 11,48 € pour les médecins et seulement 2.42 € pour les auxiliaires médicaux, professions pourtant essentielles à notre système de santé.
Mais qu’attendez-vous pour agir, nous dirons ceux que le principe de réalité inconforte? La réponse du SAIIL serait alors des plus limpides. Notre inconfort à nous réside dans le fait que nous ne sommes pas invités à la table des décideurs. Mais il est compensé par notre volonté d’agir d’abord et avant tout pour vous informer et pour maintenir vivant l’espoir qu’il peut exister des schémas de pensée alternatifs. Alors vous délivrer une information débarrassée de toute influence, de tout jeu d’alliances, de tout enjeu de pouvoir reste notre fil conducteur. L’information plutôt que la propagande, une plume sous laquelle les nouvelles sont toujours bonnes, les décisions toujours excellentes, les victoires montées en épingle et les défaites minimisées !
Caroline Dewas, présidente