PLFSS 2023 et recouvrement des indus : plus de droit à l’erreur, les IDEL pourraient être sanctionnées par extrapolation sur toute l’activité
Le gouvernement a dévoilé les grands axes du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2023, adopté en conseil des ministres lundi 26 septembre. Un dossier de presse en synthétise les principales mesures présentées en différents axes : renforcer le virage préventif, améliorer l’accès à la santé, mieux financer les modes d’accueil du jeune enfant, construire la société du bien vieillir chez soi et lutter contre la fraude sociale.
S’il y a beaucoup à dire sur ces différents chapitres et nous aurons l’occasion d’y revenir, le SAIIL tient à alerter la communauté infirmière sans délais sur la gravité des mesures inscrites au CHAPITRE VIII « Renforcer les actions de lutte contre les abus et les fraudes » , mesures qui s’écartent des principes du droit français et dont la mise en application pourrait conduire les professionnels de santé libéraux tout simplement à ne plus prendre le risque d’exercer à titre libéral sous convention.
Ce sont donc trois articles dont nous vous proposons d’analyser la portée, avec une attention renforcée sur l’article 44 permettant aux CPAM d’évaluer des indus sur l’ensemble de votre activité, par extrapolation des résultats de contrôles réalisés sur un échantillonnage limité de factures.
Article 41 – Renforcement de la lutte contre la fraude
Les barèmes de pénalités financières applicables par le directeur d’un organisme local d’assurance maladie en cas de fraude seront rehaussés pour rendre la sanction plus dissuasive à l’égard des professionnels de santé à fort volume d’activité.
Cette mesure vise à rehausser les plafonds de pénalités actuellement à 200% du préjudice financier qui passeraient à 300 % ou huit fois le plafond mensuel de sécurité sociale (PMSS) à défaut de sommes clairement déterminables. En cas de fraude en bande organisée, les plafonds passeraient de 300% jusqu’à 400 % du préjudice financier ou seize PMSS.
Article 42 – Extension de la procédure de déconventionnement d’urgence à d’autres catégories de professionnels de santé
Cet article prévoit l’extension du déconventionnement d’urgence, aujourd’hui limitée aux professionnel libéraux et centres de santé, à l’ensemble des catégories d’offreurs de soins et prestataires de services en cas de violation particulièrement grave des engagements conventionnels ou de préjudice financier important. Cette extension suit la recommandation formulée par la Cour des comptes pour la commission des affaires sociales du Sénat dans son rapport sur la fraude aux prestations sociales de septembre 2020. Elle concerne des catégories de dépenses significatives dans le total des dépenses d’assurance maladie (les pharmaciens d’officine, les prestataires de services et distributeurs de matériel, les transporteurs sanitaires et les taxis conventionnés).
Il faut noter au passage que cette mesure ne respecte pas le paritarisme, le texte précisant que l’objectif est de donner aux directeurs de caisse primaire la faculté de pouvoir agir de manière accélérée en amont ou en aval d’une décision de justice, via des procédures simplifiées « sans passage devant une commission paritaire départementale aux fins de faire cesser dans l’immédiat les agissements d’un professionnel de santé – toutes catégories confondues »
Article 44 – Permettre aux caisses d’assurance maladie d’évaluer des indus par extrapolation des résultats de contrôles sur des échantillons de factures
Le montant de la récupération serait ainsi calculé sur l’ensemble de votre activité en donnant une assise légale aux indus calculés par extrapolation d’un contrôle qui aurait porté sur un nombre limité de facturations.
L’exposé des motifs est en effet éloquent dans ce qu’il énonce : « La prise en charge des frais de santé par l’assurance maladie passe par la facturation, par les professionnels de santé d’une multitude d’actes (...) L’assurance maladie, lorsqu’elle procède à des contrôles, ne peut donc pas matériellement vérifier toutes les factures, surtout en présence de forts volumes d’activité. Les caisses procèdent donc souvent à des contrôles portant sur des échantillons de factures, et extrapolent ensuite le résultat de ces contrôles à l’ensemble de l’activité. Pour autant, l’assurance maladie ne peut aujourd’hui réclamer que la part du préjudice subi en cas d’erreur de facturation ou de fraude qui correspond exactement aux factures contrôlées(…) la présente mesure remédie à cet état de fait, en prévoyant que les caisses peuvent calculer les indus qu’elles réclament en extrapolant les résultats de contrôles par échantillon. Elle permettra à l’assurance maladie de calculer de manière plus exacte les préjudices subis du fait de la fraude ».
Si les fraudeurs intentionnels qui représentent une infime minorité des professionnels méritent d’être sanctionnés, il est inacceptable d’exposer l’immense majorité des infirmiers à des sanctions calculées par extrapolation par des algorithmes en les assimilant à la moindre erreur de cotation à des fraudeurs avérés. Une mesure aussi arbitraire n’a pas sa place dans un pays toujours prompt à donner des leçons de démocratie, mais qui « en même temps » piétinerait allègrement la notion juridique de charge de la preuve, de présomption d’innocence ou de droit à l’erreur instauré par la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance.
Caroline DEWAS